COVID19 : un temps pour communiquer autrement
Si le COVID19 affecte le corps, il a aussi des répercussions négatives sur l’esprit. La perception de la maladie par les populations pose de nombreux problèmes à la riposte étatique. Les sociétés commerciales surprises par le phénomène ont réagi plus ou moins vite et par vague. Trois grands moments peuvent être distingués : l’appropriation des gestes barrières, la sauvegarde des usages face à la crise sanitaire et la mise en avant des valeurs sociétales. Ces vagues ne sont pas des périodes imperméables mais une modélisation pour rendre compte de la pratique des acteurs.
« Le COVID19 ? Ça n’existe pas ! »
Selon une enquête de l’institut de sondage Target, « La majorité de la population congolaise ne croit pas en la gravité de la maladie à coronavirus » (Target, avril 2020). Trois raisons sont mises en avant : 1) le sondé ne connaît pas de malade dans son environnement immédiat (46%), 2) peu de cas confirmés dans sa province (21%) ; 3) et le COVID19 est une maladie dont les répercussions sont terribles à l’étranger (20%). Selon cette enquête menée dans les six provinces où des cas ont été déclarés, seuls 39% des sondés reconnaissent la gravité de la pandémie.
Dans une étude menée en ligne sur l’ensemble du territoire, il ressort que 74% des sondés sont inquiets voire très inquiets (Kinshasa Digital, avril 2020). Cette inquiétude est accentuée par les difficultés qu’ils rencontrent notamment l’augmentation des prix (76,6%), la distanciation sociale (53%) et pour 44% des sondés, le stockage de nourriture.
Inquiétude et déni sont les deux tendances fortes de notre état d’esprit collectif face à cette catastrophe sanitaire.
La première vague : l’appropriation des gestes barrières
Le premier cas de COVID-19 en République démocratique du Congo est déclaré le 10 mars par le Ministère de la Santé, les premiers visuels apparaissent sur les réseaux sociaux notamment grâce aux banques et aux assureurs. Afriland First Bank (figure 1) et Rawsur mènent la charge en proposant la panoplie des gestes barrières et Rawsur en prime présente les symptômes. Les visuels privilégient l’information et n’expriment pas encore toute la créativité de ces marques. Cette voie sera suivie par de nombreuses sociétés autant en communication interne qu’à l’adresse de leurs clients. Dans le même ordre d’idée, l’opérateur de télécommunication Orange RDC remplace la musique d’attente par des messages de prévention sur la crise sanitaire.
Dans l’affichage au sol ou sur panneau, les marques « décomposent » les gestes barrières en distanciation sociale (figure 2) ou en port du masque.
Avec CIMKO, la créativité s’envole notamment grâce à l’agence de communication #1Fluence qui joue avec la distance entre les lettres pour représenter la distanciation sociale (figure 4) ou VLISCO qui affiche les gestes barrières sur fond de pagne (figure 3). Les marques détournent leur logo ou leur charte graphique pour mieux atteindre leur objectif aussi bien en photos qu’en vidéo. Bracongo, filiale du groupe Castel, étiquette ses bières de la marque Nkoyi avec des déclinaisons des gestes barrières (Figure 5).
Avec une production moyenne de 188.000 bouteilles par jour, le brasseur entend informer une large population.
L’engagement peut être accentué par les dirigeants d’entreprise grâce à leur implication personnelle. Ainsi, Gérard Lokossou, Directeur général d’Orange RDC, montre dans un clip vidéo comment se laver les mains ou Olivier Meisenberg, Directeur général de la TMB que le spectateur suit à travers l’établissement bancaire dans sa démonstration des gestes barrières
En RSE, le discours est un peu différent et varie selon le secteur d’activité de la société mécène. Les établissements financiers comme la banque UBA ont contribué au financement de la riposte contre le COVID-19. Les opérateurs miniers ont donné leur contribution aussi bien en espèces sonnantes et trébuchantes qu’en matériel hospitalier. Par contre, Angel Cosmetics qui comme son nom le laisse présager produit des cosmétiques a donné des tonnes de solutions hydro-alcooliques et des kits de lavage des mains. De même, le brasseur Bracongo a offert en avril dernier 5.500 packs de 12 bouteilles d’eau à cinq hôpitaux prenant en charge les patients du COVID-19. Cette tendance s’est fort accentuée dans le secteur.
Les associations et les fondations se sont inscrits dans une approche banque alimentaire, de distribution de masques et de dispositifs de lavage des mains. Certaines associations ont « brandé » les kits de lavage de mains soit avec le logo de l’association/fondation soit avec la photo du mécène. Dans un autre registre, des #Maskchallenge fleurissent pour promouvoir le port du masque, les deux derniers en date sont ceux de la Fondation Fally Ipupa et de la Chambre de Commerce et d’Industrie Franco-Congolaise.
La deuxième vague : la sauvegarde des usages face à la crise sanitaire
Après l’attention première sur le COVID-19 et la nécessité de marquer son soutien à l’effort collectif, le temps du produit est venu. En effet, l’annonce des premiers cas de COVID-19 dans la deuxième semaine de mars suivie de la déclaration de l’état d’urgence (19 mars) et du confinement du quartier des affaires (6 avril) accentue la ligne entre les produits essentiels et non essentiels. La valorisation du produit devient essentielle pour renforcer son usage et assurer sa pérennité commerciale. Avec Pepele mobile, la TMB est une des premières sociétés à saisir l’opportunité.
Elle présente son produit comme une solution pour éviter la contamination par les billets de banque. Le positionnement est sans équivoque : « Stop au coronavirus : en limitant au maximum vos transactions en cash en utilisant Pepele mobile » (figure 6). Les différents opérateurs de télécommunication emboîtent le pas mettant en avant leurs propres solutions de mobile money. Orange RDC va d’ailleurs se distinguer en proposant un service de dépôt ou de décaissement à domicile en l’absence de point de vente proche.
Communiquer sur les usages s’opère de deux manières sans que l’une soit exclusif de l’autre pour les agents économiques : d’une part, le visuel présente directement le produit ou le service comme une partie de la solution dans la lutte contre le covid-19 ; d’autre part, le visuel n’évoque pas la pandémie (ou vaguement) et présente le service comme disponible. C’est la direction suivie par les restaurants Eric Kayser (figure 7) et Noosy Coffee (figure 8) pour le service de livraison à domicile.
La troisième vague : la mise en avant des valeurs sociétales
Comme le Groupe Orange à l’international, la société Orange RDC a misé sur les valeurs qu’elle revendique et son slogan de l’heure « Vous rapprocher de l’essentiel ». Hasard du calendrier ou volonté de s’inscrire dans l’air du temps, cela se manifeste par le hashtag #OrangeVousAccompagne et des promotions qui rapprochent effectivement de l’essentiel comme le forfait Culte : « pour rester en communion avec votre église » (figure 9). En effet, une étude menée sur la religion en RDC révèle que 94% des Congolais se déclarent chrétien (Target, 2016) et donc leur proposer un forfait spécial pour suivre leur culte dominical devient significatif.
Le brasseur Bracongo a lancé avec sa marque Nkoyi un clip aux accents patriotiques mêlant des expressions populaires, telles que« toa nzete ya mbila, oo kata ekola » qui signifie « nous sommes comme le palmier ; même si tu coupes, ça repousse » (traduction libre), à des appels à la résilience, la créativité et à la fierté d’être congolais. Le spot se termine par le slogan de la marque : « Nkoyi, l’esprit kinois » et résume à lui seul les valeurs véhiculées par la boisson et surtout l’idée que rien n’est insurmontable pour les habitants de Kinshasa.
Et que pouvons-nous conclure…
Le ralentissement de l’activité économique n’a pas entraîné l’arrêt de la créativité en termes de communication en République démocratique du Congo. Les entreprises et les associations ont adapté leur communication au phénomène COVID-19. Internet, plus particulièrement les réseaux sociaux, tire leur part belle du lot. Cependant, la relative couverture Internet du pays n’exclut pas l’usage des medias classiques que sont la télévision et la radio. Il aurait été intéressant d’observer les changements dans la communication des entreprises de l’informel ou simplement d’analyser les initiatives citoyennes hors associatif notamment dans la communication des gestes barrières.
La crise sanitaire a obligé les communicants à se réinventer, le processus est déjà engagé.
Madimba KADIMA-NZUJI, PhD
Directeur général EDGE COMMUNICATION SARLU