Les réseaux sociaux comme vecteurs d’un nouvel élan démocratique : Les limites d’un nouvel espace de contestation en Afrique

Wassy Kambale

« Le peuple gagne toujours ». En février 2018, ce slogan émerge sur les réseaux sociaux en République Démocratique du Congo (RDC). En effet, un activiste pro-démocratie vient d’être tué lors des manifestations organisées par l’église catholique. Celle-ci soupçonne le président Joseph Kabila de vouloir se maintenir au pouvoir. Des mouvements de jeunes qui militent pour la démocratie mettent en avant ce slogan attribué au jeune activiste tué pour lui rendre hommage et dénoncer les répressions brutales des manifestations contre les tendances autoritaires du régime en place.

Depuis 2011, des grands mouvements de contestation sont observés en Afrique. Qu’on parle du printemps arabe dans les pays du Maghreb, ou de l’émergence des mouvements citoyens en Afrique subsaharienne, l’utilisation des réseaux sociaux comme Twitter, Facebook, et WhatsApp par les populations civiles fait désormais partie intégrante du débat politique. Les populations, y compris dans les milieux ruraux rejoignent massivement les réseaux sociaux. Cet engouement est favorisé par une croissance rapide du taux de pénétration de l’internet sur le continent.

Par ailleurs, les régimes au pouvoir dans plusieurs pays africains sont de plus en plus méfiants. Entre les revendications exprimées par les mouvements contestataires sur les réseaux sociaux, notamment l’amélioration des conditions de vies des populations, la bonne gouvernance ou tout simplement l’organisation des élections, ces régimes doivent désormais s’adapter à ces nouveaux canaux de communication.

En effet, depuis plusieurs années, les citoyens dans plusieurs pays d’Afrique peinent à retrouver un espace d’expression au sein des médias traditionnels, qu’ils soient publics ou privés. Des États qui ont pourtant adopté la démocratie comme mode de gestion du pouvoir s’obstinent à imposer le silence des citoyens dans les médias autour des sujets qu’ils estiment à même d’affaiblir le pouvoir des autorités. En RDC par exemple, l’organisation journaliste en danger (JED) a identifié 121 cas d’atteinte à la liberté de la presse en 2018.

Dans cet environnement, l’usage des réseaux sociaux offre effectivement aux citoyens la possibilité de pouvoir s’exprimer sur plusieurs sujets d’intérêt général dans un espace plus accessible. Désormais, les personnes qui participent aux conversations politiques ne sont plus seulement celles qui y sont invitées comme à la radio ou à la télévision. Les débats s’invitent plutôt auprès des citoyens, y compris auprès de ceux qui n’étaient pas impliqués avant et ceux qui n’y ont pas accès. Le citoyen lambda est désormais exposé à l’information politique qu’il reçoit sur son téléphone portable ou sur son ordinateur.

Les réseaux sociaux ont ainsi fait paraitre une nouvelle génération de la société civile en Afrique. Dès lors que ses utilisateurs, notamment des jeunes africains, se sont rendus compte qu’ils pouvaient converger vers des initiatives communes, en faisant évoluer des conversations virtuelles vers des actions plus concrètes sur terrain, ils ont noué des liens pour mobiliser les communautés autour des sujets d’intérêt général afin des susciter des changements. En Afrique de l’Ouest, les mouvements contestataires « Y’en a marre » au Sénégal et « Balai citoyen » au Burkina Faso, ont joué depuis 2013 un rôle important dans la mobilisation autour des problématiques « liés à la citoyenneté, à la consolidation de la démocratie, à la réforme des institutions ».

En RDC, le mouvement citoyen « Lucha » qui a été créé en 2012 autour des questions liées à la justice sociale (accès à l’eau, accès à l’emploi pour les jeunes diplômés) a très vite migré vers des revendications politiques, et a participé activement aux manifestations contre le changement de constitution au pays. Dans les pays du Maghreb, les mouvements contestataires des jeunes qui réclamaient une amélioration des conditions de vie en Tunisie, en Égypte, au Maroc ou encore en Algérie, ont fait réagir les régimes en place.

Mais l’espoir suscité par cet élan démocratique ne semble pas s’étendre dans la durée. Les réseaux sociaux semblent avoir exactement reproduit dans le virtuel, les mêmes modèles de fragmentation qu’on observe dans les régimes autoritaires, comme par exemple les inégalités ou encore les violences. Ceux qui n’ont pas accès aux audiences n’ont pas la capacité de faire entendre leurs voix. Les influenceurs tentent de se constituer en une nouvelle classe. Les opportunités d’expressions sur l’espace public ne sont pas les mêmes, et engendre parfois des frustrations, ou des soupçons de manipulation. Les différents mouvements de contestation se retrouvent chacun avec son propre agenda. Les mobilisations censées amener aux changements sont ainsi morcelées.

En plus, les mouvements contestataires n’ont plus le monopole de parler au nom du peuple. Les débats deviennent de plus en plus virulents entre les pro-régimes, et les partisans de l’éternel changement. Les militants des partis politiques ont ainsi investi les réseaux sociaux pour apporter leurs versions des faits. En RDC par exemple, on assiste à des confrontations en ligne entre les mouvements citoyens comme La Lucha et les militants du nouveau parti au pouvoir après les élections de décembre 2018, désormais surnommés les « talibans » en raison de leur manque de tolérance face à des avis divergents. Avant les élections, ils avaient un même combat. Ils voulaient tous le changement du régime en place. Aujourd’hui, chaque tweet de mouvement citoyen Lucha s’attire les foudres des talibans.

Dans certains contextes, ce genre de dissensions sur les réseaux sociaux se sont poursuivis sur le terrain, faisant ainsi craindre un risque réel des violences. Plusieurs autorités sur le continent ont ainsi saisi l’opportunité pour justifier la surveillance et la censure de l’internet au nom de la préservation de la paix sociale ou encore de la sécurité nationale. Que c’est soit au Tchad, en RDC, au Benin, au Gabon, ou au Mali, les régimes en places n’ont pas hésité à couper l’internet, ou restreindre l’usage des réseaux sociaux à l’approche de grands évènements comme les élections présidentielles et législatives ou encore le vote des lois en lien avec des changements constitutionnels.

En plus de la censure de l’internet, les régimes africains sont désormais attirés par l’utilisation même de l’internet afin de surveiller ou manipuler leur population. Le journal français « Le Monde » avait révélé, en 2018, que les gouvernements zambiens, éthiopiens et zimbabwéens ont acheté à la Chine des technologies pour contrôler les usagers d’internet. Le gouvernement chinois a été accusé d’avoir mis en place une politique de rémunération des jeunes internautes qui participent aux débats en ligne, et qui font valoir les points de vue du gouvernement. En novembre 2018, la Radio France Internationale (RFI) soupçonnait les autorités de la RDC de créer des comptes fictifs sur Facebook afin de surveiller les opposants au régime en place. En octobre 2019, l’entreprise Facebook a elle-même dénoncé des campagnes de manipulation sur sa plateforme qui visait huit pays africains, parmi lesquels la RDC.

Dans ces conditions, est-il possible de conserver les quelques acquis portés par les mouvements contestataires à travers les réseaux sociaux ?